Vanille : Le projet Du C(h)œur des femmes se construit sur du très long terme, ça fait plus de 5 ans maintenant, mais il n’y a pas de régularité réelle. Enfin si, la régularité c’est le groupe Whatsapp ! [rire] L’intensité des réunions se fait en fonction des événements. Là il y en a plein : le tournage [d’un clip], la projection au Cinématographe, les répétitions en amont, les concerts qui se préparent pour le mois de juin, l’inauguration de la maison de quartier de La Halvêque… Et au-delà de ça, il va y avoir des temps de pratique, d’ateliers et de laboratoire.
Qu’avez-vous ressenti lors des représentations à La Soufflerie (Rezé, 18/02/2023) ?
Vanille : J’étais hyper excitée de ramener sur un plateau de théâtre plus de 45 femmes et les mômes. Ça dresse les poils ! [rire] J’étais fière d’en être arrivée là et surtout tellement heureuse de voir tous les groupes se mélanger, les anciennes et les nouvelles arrivées. En fait, ce projet évolue sans cesse, il n’y a jamais le problème de “prendre le train en marche”. Tu peux toujours te dire qu’il y a des habitudes, des ancrages, des liens très forts… Mais en fait, j’ai des liens très forts avec chacune des femmes. La configuration est sans cesse modifiée. J’ai un lien avec Saadia, avec qui je peux aller faire des courses au marché, avec Bintou, qui me laisse des messages vocaux, ou avec celles qui écrivent sur le groupe Whatsapp. Et l’addition de toutes ces relations intimes fait qu’il y a une fonte. Chacune sent qu’elle a sa place.
Saadia (Amandier) : Moi je ne pensais pas être acceptée dans le projet par les anciennes. Et pourtant ! Avec Jeannine (Gardénia) par exemple, on s’est jeté dans les bras, comme si on se connaissait depuis longtemps. C’est un lien… C’est comme une famille.
Vanille : Il y a des périodes où des femmes s’en vont du projet pour des raisons personnelles ou autres. Comme Khadija, que j’ai rencontré au tout début du projet il y a presque 10 ans, ou Sandrine qui a fait le début de chœur. Elle revient en tant que spectatrice, elle vient nous voir jouer, et c’est une manière pour elle de continuer le projet. Et Khadija, j’ai été la chercher pour qu’elle refasse son texte solo qui est tellement important pour elle. Et maintenant elle est revenue et veut faire toutes les dates ! Et peut-être qu’elle repartira… En fait c’est vraiment une vie ensemble. C’est cette idée-là. Le spectacle n’est tellement pas sur scène en fait.
Samira (Ophrys) : J’ai parlé avec mon mari et je lui ai dit “c’est cool de monter sur scène mais rencontrer 50 femmes c’est beaucoup plus”.
Sabrina (Mauve) : On a rigolé, on a pleuré, il y avait beaucoup d’émotions. C’était extra.
Vanille : Et puis d’avoir deux représentations d’affilée, c’est quelque chose que vous avez vécu et enduré pour votre baptême. Avoir la possibilité de revenir pour reconquérir un deuxième public dans la même journée, c’est quelque chose !
Sabrina (Mauve) : Au début, pour le premier spectacle, on était stressé. Mais pour le second spectacle, Vanille nous a dit “c’est le dernier, vous n’aurez pas d’autre chance de refaire le même spectacle” et je me suis dis “je dois être à fond”. Et je l’ai été !
Vanille : Les nouvelles qui arrivent dans l’aventure sont souvent stressées parce qu’il y a un côté super foutraque… Ce projet repousse mes limites d’acceptation du bordel ! Aussi bien quand je rentre dans la loge, que quand je reçois des messages dans tous les sens ou quand j’écris les textes. Quand je construis ce qu’on va faire, j’essaie d’articuler tous les textes. Mais jusqu’à la dernière ligne droite, ça fait peur parce qu’on se dit toutes “on va jamais y arriver”. Mais là, la générale était royale car on avait eu une semaine dans un même lieu. Ça permettait de repérer l’espace, répéter avec les musiciens, c’est très confortable.
Au moment où on monte sur scène, le jour J, à chaque fois il y a quelque chose qui s'enclenche. Et tout le travail du souterrain apparaît – parce que c’est un boulot monstre, avant, et je suis très exigeante avec elles – tout s’aligne. Alors évidemment, il y a des accidents, mais parce qu’il y a eu tout ce travail de dialogue et de compréhension des unes et des autres, les problèmes se résolvent. Le jour J, ça passe par le regard.
© Du c(h)œur de femmes, des chants et mots qui viennent du ventre, Ouest France
Et quel lien y a-t-il avec le public ?
Vanille : Ça dépend des configurations. Quand on est dans des spectacles où on a eu le temps de créer (des lumières, une scénographie, des placements, etc.) il y a un côté très orchestré. On emmène le public dans le récit. Et dans d’autres moments plus “arrachés” où on y va comme ça, le public est plus pris à parti. Je pense par exemple aux avant-premières qu’on a fait à la maison de quartier de La Halvêque. Avec un petit décor, deux musiciens et très peu de lumières. C’était très différent pour vous [les femmes].
Sabrina (Mauve) : À La Soufflerie c’était beaucoup plus professionnel, avec la grande salle, la sono, les musiciens, les costumes… Et surtout, le public ! C’était une autre ambiance.
Vanille : En gros elles veulent des grandes salles, c’est des divas ! [rire collectif]
Sabrina (Mauve) : On regardait le public entrer et on s’est dit “la salle est archi pleine” ! Et ça nous a stressé. Mais une fois monté sur scène, on est dans le truc. Mon mari était au premier rang mais je ne regardais personne, je ne l’ai pas vu ! [rire] J’ai pris un plaisir fou !
Saadia (Amandier) : Sur scène, j’ai pris plaisir ! On a dansé, on a chanté, on a eu un bon photographe. Il a fait de magnifiques portraits de nous.
Qu’est-ce que ça vous a fait de voir vos portraits ? Est-ce que ça a changé votre vision de vous-même ?
Sabrina (Mauve) : Je n’aime pas me voir en photo, je ne suis pas photogénique. Mais là, c’était magnifique. J’étais fière. Juste après avoir vu les portraits affichés devant la préfecture, je n’ai pas pu rester chez moi. J’ai été voir Alain [directeur de la maison de quartier de La Halvêque] et je lui ai dit “je ne pensais pas pouvoir en arriver là. On a commencé avec un simple shooting photo dans une pataugeoire.” Mais là on voit se déployer le projet.
Saadia (Amandier) : Il nous a vraiment embellis, maquillés, habillés. On m’a dit “que t’es belle !”
Vanille : En plus je n’utilise même pas Photoshop ! Et toi Samira, tu as dit l’autre jour “c’est un projet qui me rend plus forte” ?
Sabrina (Mauve) : Moi j’ai senti un grand progrès sur plusieurs choses. Par exemple, avant je ne trouvais jamais de temps pour moi. Et là c’est mon moment à moi, je ne suis ni maman, ni épouse, je suis moi-même. Je ne pense à personne, je fais les choses pour moi. C’est un très très grand pas. J’arrête tout, j’annule les rendez-vous pour pouvoir être disponible. Même en dehors de ces rendez-vous, je m’octroie du temps.
Saadia (Amandier) : Ça m'apporte beaucoup, je vais vers les autres. Avant je disais “j’ai pas envie, je laisse tomber, on verra demain”. Et maintenant j’y vais !
Samira (Ophrys) : Maintenant je suis plus forte. En France, je suis seule avec mes enfants et mon mari… [émue]
Vanille : On a un gros partenariat à faire avec Cleanex ! Ou alors on fait des petits mouchoirs en tissu, à l’ancienne, avec brodé “Du chœur des femmes” et pour chacune vos prénoms de fleur. Ce serait beau ça !
Sabrina (Mauve) : On a eu beaucoup de moment où on s’est retrouvé à discuter. Ça me vide, ça me fait du bien. Par exemple, l'exercice de la petite mémoire, à partir de nos souvenirs, c’était vraiment pour moi le déclic.
Vanille : Oui, c’était le moment où j’écrivais les paroles de la chanson dont on est en train de tourner le clip. Et le travail que je mène avec chaque femme est sur les récits profonds, ancrés, les mémoires anciennes. Cet exercice était une amorce de ce travail. L’idée était, sur un tour de table, de faire remonter des souvenirs à la fois bêtes et profonds. En fait, les souvenirs remontent parce que les autres racontent les leurs. Le tour de table était un moment fort, ça aurait pu durer 4h. Même les petits détails, le jardin de l’enfance, les images qui remontent… La mémoire individuelle devient une mémoire collective. Et au milieu de tout ça, il y avait des souvenirs très violents comme celui de Waffa…
Sabrina (Mauve) : J’étais la seule à comprendre ce qu’elle voulait dire… Et j’ai pleuré en faisant la traduction. C’était fort. Le déclic de ce projet c’était vraiment ce jour-là.
Vanille : Au début, ça s’est vraiment fait à 15 avec les femmes du quartier de Malakoff. Elles ont vécu comme des enfants uniques pendant très longtemps avant l’arrivée des autres. Elles ont compris que le projet changeait. Après je suis partie à l’étranger, à Djibouti par exemple, et il fallait “me laisser partir”. Maintenant, vous savez que je reviens toujours même si je pars développer le projet ailleurs.
Si je compte, en me basant sur les baptêmes de fleur – c’est la tradition – il y a plus de 350 femmes qui, à un moment donné, ont croisé ma route et qui ont eu un nom de fleur. Mais il y en a beaucoup qui ne sont plus dans le projet. Et il y a plus de 60 femmes entre Nantes et Angers. Mais je n’ai jamais réussi à les réunir toutes. À Palerme, il y a une équipe d’une vingtaine de femmes. À Djibouti, entre 15 et 20 femmes, mais c’est monté jusqu’à 90. Et à Marseille, c’est différent car c’était dans les Baumettes [centre pénitentiaire], il y avait 12 femmes mais avec lesquelles je n’ai plus droit d’être en contact. On est très nombreuses.
Et vos proches, que pensent-ils de cette aventure artistique ?
Sabrina (Mauve) : Mon mari m’accompagne, me soutient. Dans notre culture, on ne s’embrasse pas publiquement mais, à La Soufflerie, alors qu’il y a avait toute ma famille et mes amis, il m’a fait un câlin et m’a embrassé devant tout le monde. Et ma fille Anaïs est avec nous. Ça m'a beaucoup rapproché d’elle. Pendant les premières répétitions, elle ne voulait pas chanter… À force de l’amener avec moi, d’elle même elle a dit “je fais avec vous mais sans monter sur scène” puis “ok je monte sur scène mais je ne mets pas de robe” puis “ok je mets une robe mais je ne fais pas le défilé”. Je lui disais “tu fais ce que tu veux”. Le jour J, elle a mis une robe qu’elle a choisie, elle s’est maquillée, elle a lâché ses cheveux et elle a dit du texte. Son père m’a envoyé une vidéo d’elle du défilé, et je vois bien qu’elle était à fond ! C’est extra de vivre ça, et en plus avec son enfant.
Vanille : Mais vous avez aussi votre espace pour vous. Vos filles sont incluses dans un groupe à part, le groupe des Lauriers, et ça permet que cet espace reste pour vous. Il y a des choses qui se jouent de femme à femme. Avec le temps, certaines quittent le chœur des Lauriers pour le chœur des femmes.
Saadia (Amandier) : Et tout le mérite revient à Vanille. Elle ne s’arrête jamais ! Elle répète avec les enfants qui pleurent dans les bras, elle surveille tout le monde. Et je la trouve absolument magnifique, comment fait-elle ? [rire collectif]
Vanille : On se protège mutuellement, on s’est choisi. Parce que toutes les femmes ne peuvent pas rentrer, il y a un truc qui se passe. Certaines s’en vont d’elles-mêmes d’ailleurs. Les femmes qui veulent tirer la couverture à soi, se mettre en avant, ça ne marche pas. Même si au final, elles sont toutes mises en valeur. Et puis les répétitions sont fatiguantes, il y a du monde partout, les mômes pleurent, il y a des retards. Il faut avoir envie de partager la vie en fait. Je pense qu’il y a aussi un truc de feeling. Il y a en a peu qui ne sont pas restées mais ça arrive. Le lien s’étiole et elles viennent de moins en moins. Ce n’est pas 5 ans d'amitié avec chacune. Le projet tient dans le temps grâce aux liens qu’elles ont entre elles et que j’ai avec chacune. Il y a une vraie filiation.
Saadia (Amandier) : Ça ne fait qu’un an qu’on se connaît et pourtant on a l’impression qu’on se connaît depuis toujours.
Sabrina (Mauve) : Je n’avais jamais eu une communauté comme ça, un lien comme ça. On est dans une bulle, ensemble, avec le même objectif. Je n’ai pas les mots pour l’expliquer. Mais c’est plein d’émotions. Il y a beaucoup de bienveillance entre nous. On a aidé les mamans, changé les couches des bébés, fait dormir les filles des sœurs... On est toutes pareilles, sœurs de cœur. Et pourtant on est toutes très différentes. Il y a des vieilles de 90 ans, 70 ans, des enfants, de toutes les couleurs, de toutes les catégories, des médecins et des femmes au foyer… Ça nourrit beaucoup !
Saadia (Amandier) : Elle a tout dit !