Quels désirs vous ont mené à créer cette pièce sur le désir ?
O.L. Souvent, je pars d’une phrase qui résonne en moi. Il y a eu «Maintenant que je sais, je ne veux plus me taire» pour le précédent cycle sur l’engagement et aujourd’hui celle-ci: « Oser dire ses désirs». Depuis toujours, je travaille sur cette notion de grandir, quel que soit notre âge: qu’est-ce qui fait que l’on grandit ? Qui peut nous accompagner à cela ? Grandir, n’est-ce pas devenir soi-même, oser être qui l’on est ? À mon sens, sur ce chemin, il s’agit d’abord d’identifier son désir propre, enfoui sous les injonctions familiales, sociétales ou scolaires. Pour mener cette création, je me suis donc posé cette importante question: « Qu’est-ce que je veux profondément ? » J’ai toujours eu une attention particulière aux corps en mouvement et cette fois, j’ai eu envie de collaborer avec un chorégraphe à qui je demanderais une véritable écriture dansée. J’ai aussi eu le désir de travailler avec un grand groupe d’interprètes et de retrouver mes fidèles collaborateurs car j’ai besoin de cette stabilité rassurante pour mener cette pièce d’envergure, qui représente un défi pour moi. Dans mon désir initial, il y a aussi l’importance que j’accorde à l’empathie du spectateur avec le personnage. J’envisage chaque situation selon qu’elle pourrait lui rappeler son vécu ou l’interroger sur son comportement, si elle se présentait à lui. J’ai envie que le spectateur se dise: « Moi aussi, je souhaite faire un pas de côté pour réfléchir, dire, agir selon mon désir profond. Peut-être qu’il y a des choses que je n’ose pas faire et pourraient être simples ?» Puisque c’est une histoire de communication, de contagion de la joie, que chacun puisse avoir envie de danser sa vie, de dire je t’aime à celui, celle ou ceux qu’il aime.
Vous avez précédemment traité des thèmes de l’amour et de l’engagement et vous abordez ici la question du désir. Ce qui vous intéresse est-il cette énergie, cette motivation, cet élan qui met en mouvement les gens ?
O.L. Ce sont les personnages comme vous et moi, les gens aux petits gestes, les héros ordinaires qu’il me plaît d’observer. Et en cela, la construction de l’individu me passionne car, comme nous l’apprennent les contes traditionnels dans lesquels je ne cesse de puiser, de tous temps, les mêmes phénomènes nous constituent.
Vous co-écrivez la pièce avec une auteure, un chorégraphe, un compositeur, les interprètes. Comment travaillez-vous ensemble ?
O.L. Nous avons initié le projet il y a deux ans et nous avons travaillé ensemble onze semaines dont les quatre premières étaient des laboratoires. Chacun vient avec ce qu’il souhaite raconter et, lorsque les interprètes nous rejoignent, leur corps, leur gestuelle, leur phrasé, leur réflexion, font évoluer l’histoire. Le texte provoque ce qui a lieu au plateau tandis que l’écriture chorégraphique souligne ou décale le propos : un mot pose un autre regard sur le mouvement ou un geste renverse le sens d’une phrase. En travaillant ainsi, chaque élément nouveau interroge l’élément précédent, les écritures textuelles, corporelles, musicales, scénographiques s’entrecroisent et créent un langage très riche qui viendra toucher des sensibilités différentes.
Formé à l’École Jacques Lecoq, dont l’enseignement porte sur le jeu physique, vous vous intéressez au langage corporel. Que revêt le corps que ne revêt pas le verbe ?
O.L. Le corps est l’élément essentiel de la relation : lorsque l’on rencontre une personne, on voit tout d’abord son corps et ce qu’il raconte avant même que toute parole soit échangée. Ces corps dansants expriment un état intérieur, nous disent ce que le personnage lui-même ne dit pas, avant que le personnage prenne conscience de ce qui a lieu.
Vous qui réalisez des spectacles depuis le point de vue de l’enfance, que représente le fait de vous tourner vers la vieillesse ?
O.L. Si le personnage central est Léonie, il y a autour d’elle des adolescents et de jeunes adultes. Mais c’est toujours du point de vue de l’enfance qu’on aborde le sujet. Je crois qu’on est nombreux à avoir peur de vieillir, peur de se retrouver face à des mourants. Les thématiques que j’aborde ne sont pas spécifiquement «jeune public» mais je fais le pari que ces questions sont intergénérationnelles. Il n’est pas nécessaire de mettre en scène un enfant pour parler aux enfants : l’enfant s’intéresse à l’histoire de ses parents, de ses grands-parents et ses questionnements sont bien plus grands que lui. On est ce d’où l’on vient, on peut l’accepter ou le questionner, mais le savoir est important.
Comment faire histoire de la joie, de la liberté ?
O.L. Dresser un catalogue du bonheur n’activerait ni la réflexion ni la transformation. Alors nous menons un petit inventaire des peurs et des empêchements auxquels on croit, auxquels on nous fait croire : peur de la honte, du regard, de ne pas être conforme, de s’affirmer, de s’engager… Et je pose l’hypothèse de l’origine possible de ces peurs, car peut-être sont-elles héritées des générations passées, peut-être sont-elles plus archaïques encore. La réaction en chaîne que provoque l’acte de Léonie met en lumière ceci: notre histoire est nourrie d’autres histoires.
Le désir peut aussi bien être un outil d’émancipation que l’instrument de manipulation des masses : faut-il être courageux pour être à l’écoute de ses propres désirs ou bien désirer serait-il le moteur du courage ?
O.L. Notre société est composée d’individus, elle est la richesse de nos diversités et non une seule masse. Si l’on identifie son propre désir, il me semble qu’aucun obstacle ne peut entraver notre courage d’agir. Mais, sans but, où trouver la force ? La question est: le désir est-il le moteur ou l’essence de l’humain ?
Selon vous, de quelle manière se concrétise «le courage des poètes* » qu’appelle Catherine Blondeau dans cette saison du Grand T ?
O.L. Pour cette création, le courage de l’artiste est très pragmatique. Le spectacle jeune public est souvent cantonné à de petits budgets, de petites formes, pour de petits spectateurs or je défends pour les jeunes spectateurs le droit à un temps de création plus long, à des plateaux ambitieux, à des langages pluriels et exigeants, à des artistes talentueux et engagés dans le partage d’une parole de qualité. C’est un acte militant, un vrai choix politique de s’adresser aux jeunes spectateurs, à ceux — même à 70 ans comme Léonie — qui viennent pour la première fois. Un enfant venu lors d’une séance scolaire, dans quelle famille rentre-t-il le soir ? Y prie-t-on un dieu, plusieurs, aucun ? Vote-t-on à gauche ou à droite ? Y parle-t-on français ou une autre langue ? Pourra-t-il raconter ce qu’il a vu ? Ce n’est pas de la littérature en costumes, c’est de nous dont on parle. J’ai une profonde croyance en l’humain et, à travers le théâtre, j’ai envie de donner à chacun, aux enfants, aux adultes d’aujourd’hui et de demain, des outils de réflexion pour réaliser que la vie est bien plus vaste qu’elle ne semble. Voilà, c’est ça : j’ai envie de partager le désir d’être curieux.
Propos recueillis par Mélanie Jouen, septembre 2019